Mon (futur) service de veille
J’ai partagé il y a quelque temps un questionnaire destiné à étudier le marché des agrégateurs d’actualité dans le but d’une potentielle création d’entreprise. Mon objectif était de mieux connaître le marché actuel, d’évaluer un début de tarification et de mieux connaître les attentes de potentiel·les client·es. J’en profite d’ailleurs pour remercier les 281 personnes qui ont pris le temps de répondre, ça m’a bien aidé à y voir plus clair dans ce que j’allais faire !
Je reviens dans cet article sur les raisons qui m’encouragent à mettre en place un tel service et j’appuie certains éléments par les questions posées par le questionnaire.
La raison de faire
Si vous suivez ce blog, vous savez sans doute que je suis au chômage depuis décembre dernier. Loin d’être une situation subie, j’en ai profité pour poser à plat mes envies à travers un travail d’introspection. Je comptais alors, sans le dire explicitement, suivre une voie « par défaut » qui était celle de me mettre en auto-entrepreneur pour faire du service auprès d’entreprises. J’ai mis un moment avant de prendre réellement conscience que ce métier ne m’intéressait absolument pas.
Mon chômage s’écoule doucement mais sûrement depuis maintenant 7 mois, finançant d’une certaine manière mes activités bénévoles (en témoigne l’évolution de ma page « En ce moment » ces derniers mois). Il est toutefois temps que je commence à travailler concrètement sur mon futur professionnel afin de me dégager un salaire. L’idée n’étant pas de générer un salaire mirobolant, mais juste assez pour pouvoir vivre tranquillement (par transparence, je vise entre 1 500 et 2 000 € par mois).
Je n’envisage pas mon avenir professionnel en tant que salarié d’une entreprise « traditionnelle » où l’on décide à ma place ce sur quoi je dois travailler. J’ai toujours pris soin de ma liberté de choix et je compte bien continuer. En avant donc pour créer ma propre structure. Aussi, l’envie de créer un service en ligne de manière professionnelle me trotte dans la tête depuis plusieurs années et cette remise en question m’a permis de la remettre au goût du jour.
Pour terminer sur ma raison de « faire », je souhaite revenir sur la limitation volontaire de mon salaire. J’ai à cœur de pouvoir travailler et être d’une quelconque aide au monde associatif, en particulier celles œuvrant dans les luttes pour le climat ou les luttes sociales. Le monde économique dans lequel nous vivons ne valorisant pas (encore ?) le travail qui peut être fait dans ces milieux-là, il s’agit bien souvent de bénévolat. Mon but en limitant mon salaire est donc de générer du temps libre que je pourrai mettre à dispositon d’associations : « gagner moins pour travailler plus utile » en quelque sorte.
Les raisons d’être
Se pose maintenant la question de la raison d’être du service en ligne. Quelle raison me fait dire que le service aura une quelconque utilité ? À quel besoin je réponds ?
L’une des choses que j’observe depuis longtemps, en partie à travers mon action au sein de Framasoft, c’est le cloisonnement de nos données et notre assentiment à déléguer le choix de nos sources d’information à des plateformes privées telles que Twitter ou Facebook. On l’a vu notamment lors du scandale de Cambridge Analytica : cela peut avoir des conséquences désastreuses sans réelle réflexion politique ni mesure de contre-pouvoir.
Pourtant, il est important de pouvoir se tenir au courant de l’actualité. C’est le cas pour toutes les personnes qui veulent s’informer de ce qu’il se passe dans le monde, mais aussi à des échelles plus locales. Il peut s’agir de politique, d’évènements festifs, de sport, etc. D’un point de vue professionnel, la veille spécialisée permet de se tenir à jour des évolutions de son domaine (on peut penser à l’informatique mais aussi au domaine législatif par exemple).
À travers notre veille, nous nous faisons influencer par les points de vue des personnes qui publient l’information, voire par la pub qu’elles y insèrent. Aucune information n’est totalement objective, mais nous décidons de suivre tel ou tel site de manière encore à peu près consciente. Cela devient plus pernicieux lorsque cette veille est orientée sans nous le dire par les plateformes sur lesquelles nous l’effectuons. Il me paraît par conséquent important d’avoir confiance dans ces plateformes (et donc les outils techniques sous-jacents).
Dans ce que j’explique ici, j’identifie deux raisons d’être distinctes :
- celle de l’outil technique qui serait de proposer un outil de veille connecté, simple et respectueux de ses utilisateur·ices ;
- et celle du service en ligne qui serait de permettre la promotion et le développement de cet outil en proposant un service transparent et de confiance.
Cela implique tout un tas de choses que je détaille dans la partie suivante en me basant sur les chiffres qui ressortent de mon questionnaire.
La philosophie du service
Connexion
J’ai eu beaucoup de réponses à mon questionnaire de personnes m’expliquant qu’elles préféraient utiliser un logiciel sur leur propre PC, voire même une personne m’a affirmé que les services en ligne étaient inutiles. Si je comprends très bien que l’on puisse préférer un logiciel sur sa machine, il me semble néanmoins que les outils de veille en ligne ont aussi leur utilité, ne serait-ce que pour faire face aux usages liés à la mobilité (c’est-à-dire lire sur différents terminaux en fonction de la journée tout en gardant synchronisé ce que j’ai lu ou marqué en favori). La connexion est aussi intéressante dans les interactions qu’elle peut apporter. Si notre suivi de l’actualité a migré sur des plateformes sociales, ce n’est pas parce qu’elles sont meilleures pour cet usage spécifique mais parce qu’elles permettent de réagir, compléter et confronter l’information à d’autres avis. Aujourd’hui les agrégateurs d’actualité ne le permettent effectivement pas, mais il s’agit pour moi d’une évolution qui aurait tout son sens.
Simplicité
Ensuite, la simplicité d’usage est importante si je veux toucher un public autre que celui qui est prêt à creuser les fonctionnalités ou qui comprend déjà le fonctionnement d’un agrégateur de flux RSS. C’est une composante essentielle si je veux poser mon service comme une véritable alternative face à d’autres plateformes. Deux questions dans mon sondage devaient d’ailleurs me permettre de valider cet aspect-là. À l’argument « Les fonctionnalités du service sont très ciblées et restent volontairement simples », 58% des personnes ont répondu qu’il les inciterait à utiliser le service, et 32% non. L’argument corollaire « Le service dispose de nombreuses fonctionnalités (au risque de devenir complexe) » a reçu 38% d’avis positifs et 54% négatifs. J’admets toutefois que ce deuxième argument était orienté, j’aurais sans doute dû éviter. On voit néanmoins que les rapports s’inversent de façon très claire. Et j’ajoute que le questionnaire a touché un public plutôt geek, plus enclein à fouiller un logiciel, alors qu’il ne s’agira pas forcément de ma cible finale (j’y reviens plus loin).
Transparence
La transparence du service m’apparaît comme une composante essentielle dans le respect des utilisateur·ices car cela peut amener à comprendre certains choix qui sont faits. Par exemple, une majorité de personnes sont prêtes à payer 1 ou 2 € par mois pour utiliser le service. Néanmoins, plus le prix sera bas, et plus je devrais avoir de client·es pour générer mon chiffre d’affaire. Qui dit plus de monde dit aussi plus de support à faire (donc moins de temps par personne), un serveur plus puissant avec plus de capacités de stockage, etc. Être transparent c’est aussi expliquer que le prix se calcule en fonction de nombreux paramètres et que s’il peut paraître cher, il y a une raison derrière. Cet argument sur la transparence des prix a d’ailleurs emporté l’adhésion de 70% des répondants à mon questionnaire, il y a donc une véritable demande.
La transparence induit également l’utilisation de code libre. Une telle condition n’est pas une fin en soi mais permet à qui le souhaite et le peut de vérifier que le code respecte ses utilisateur·ices et qu’il est effectivement à leur service. Sans surprise vis-à-vis du public touché, le logiciel libre est un argument pour utiliser le service pour 81% des répondants.
Confiance
La question de la confiance était posée sous différentes formes (et est d’ailleurs déjà traitée à travers la transparence). La confiance, c’est ce qui va convaincre les gens de venir, de rester (donc de payer) et de parler autour d’eux de mon service. C’est aussi peut-être ce qu’il y a de plus compliqué à assurer sur le long terme. Cela passe à la fois par le dialogue et par les actes ; les critiques ne seront pas tendres en cas (d’accumulation) de faux-pas.
Les deux composantes essentielles du dialogue que je vois sont la communication sur les médias sociaux et le support offert aux client·es. Une mauvaise communication ou un mauvais support, c’est ce qui peut plomber une image de marque ; à l’inverse d’un bon support, dont vous n’entendrez jamais parler. Quant à l’excellent support, c’est les anciens de Captain Train / Trainline qui en parle le mieux. À l’argument du support par email, j’ai d’abord été surpris de n’avoir que 51% de réponses favorables… mais cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas en faire, juste que cela ne correspond pas à un argument marketing qui justifierait de changer de service.
Ensuite, je compte aligner mes actes avec mes paroles à travers au moins trois actions :
- faciliter la portabilité des données (que ce soit pour arriver ou pour partir) ;
- contribuer au code du logiciel utilisé ;
- participer au collectif des CHATONS.
D’un point de vue marketing, les deux premiers arguments sont sans appel : 82 et 85% d’avis favorables. Le troisième est intéressant car c’est celui qui a recueilli le plus de personnes ne se prononçant pas (26% alors que les autres arguments tournent plutôt entre 7 et 15%). Je l’analyse du fait que les CHATONS n’est pas (encore) un collectif très connu et que les personnes ne savent donc pas quoi en penser. En revanche, 78% des avis exprimés sont favorables, ce qui est plutôt positif dans l’ensemble !
Qualité de service
Pour terminer, la qualité du service (performances et maintenance du service en ligne) devra être au cœur de mes préoccupations si je veux rester crédible. Sur ce point néanmoins je dispose d’un peu moins de billes aujourd’hui, même si je maintiens déjà Lessy sans trop de soucis.
L’une de mes certitudes toutefois est qu’il ne faut pas lésiner sur les moyens et notamment sur les capacités du serveur et la sécurité que ce soit maintenance, monitoring ou backups.
Pour avoir vécu quelques applications en production douloureuses, j’ai également conscience qu’il y a véritablement un changement d’esprit à opérer entre un service offert (type lessy.yuzu.ovh) et un service payant professionnel.
Marché et tarification envisagées
La définition d’un marché est un exercice compliqué car, d’une part, je ne l’ai jamais fait et, d’autre part, c’est un peu naviguer à l’aveugle. Dans le cas d’un agrégateur d’actualités, c’est encore plus casse-gueule car les technologies comme RSS semblent à la fois sur le déclin et déjà fortement investies par l’auto-hébergement. On me l’a d’ailleurs (sous-)entendu de (très) nombreuses fois dans les commentaires de mon questionnaire. 70% des répondants utilisent déjà un service hébergé ou sur leur propre PC et seulement 37% se disent prêt·es à payer pour un tel service ; ce qui ne signifie pas non plus qu’ils et elles viendront chez moi ! Qu’à cela ne tienne, je vais tout de même tenter une réponse.
Je vois très clairement deux périodes pour mon service. La première consistera à proposer un service basé sur un logiciel existant (très certainement FreshRSS). Je viserai alors un public déjà sensibilisé à ce genre d’outils, qui n’a pas l’envie ni le temps de maintenir un service en ligne et qui est prêt à payer pour déléguer ces tâches à quelqu’un d’autre. J’ai bon espoir d’arriver à générer un peu de chiffre d’affaire, de quoi commencer à me sortir un salaire (probablement pas énorme). En parallèle de cette période, je compte améliorer le logiciel pour l’orienter vers quelque chose de plus grand public et moins dépendant de technologies précises. Tout du moins, je pense qu’il sera nécessaire de repenser la façon de s’abonner à des sites. Je dis « améliorer » mais comme FreshRSS est déjà soutenu par une communauté, cela se fera nécessairement en accord avec celle-ci. Ce qui m’amènera donc à la deuxième période où je pourrai toucher un public élargi et qui ne se soucie pas des technologies sous-jacentes. En résumé, plutôt que de lutter pour m’insérer sur un marché hyper-concurrentiel, je compte en changer pour me permettre de respirer.
Un autre point, qui rajoute peut-être une couche de complexité, c’est que je compte m’adresser à un public exclusivement francophone. On peut trouver cette décision un peu étrange à l’heure de la connexion mondiale, mais je fais ce choix de manière pragmatique pour me faciliter la communication. Je ne serai en effet jamais aussi efficace qu’en français pour véhiculer une idée ou pour aider une personne sur le support. Je crois que ce choix me permettra de m’économiser de l’énergie pour d’autres tâches plus importantes (et j’aurai déjà beaucoup à faire !) Bien entendu, si le service se base sur FreshRSS, il existe déjà de nombreuses traductions donc je ne m’amuserai pas à les enlever. Je parle ici bien uniquement de la communication.
Concernant la politique tarifaire, cela reste encore à valider mais je partirais sur :
- une période d’essai d’un mois ;
- un abonnement mensuel (le prix reste à déterminer) ;
- un abonnement annuel avec réduction (idem) ;
- aucune limite sur le nombre de flux suivis.
Concernant le dernier point, plus de 90% des répondants se contentent de moins de 500 flux ce qui me semble tout à fait gérable. Reste les 10% restants et les abus éventuels qui pourraient faire exploser les coûts de stockage et de traitement notamment. J’envisageais d’abord de mettre une limite à 500 abonnements, déblocable sur simple demande au support, mais d’un point de vue marketing je trouve qu’il est plus efficace de ne pas mentionner de limite et de gérer les abus au cas par cas. L’avenir me le dira !
Aussi, j’ai décidé de ne pas appliquer de tarifs évolutifs en fonction du nombre d’abonnements. Les avis étant très partagés sur la question, il me semble qu’il est plus simple d’avoir un tarif unique.
Avenir envisagé sur le long terme
La grande question qui se pose lorsque l’on s’abonne à un service en ligne, c’est celle de sa pérennité. Est-ce que le service sera toujours là dans un an ou deux ? Vous aurez peut-être compris que je ne souhaite surtout pas me lancer sur un modèle « startup » qui consiste pour beaucoup à cramer de l’argent dans l’espoir de trouver un business model… bien au contraire. Comme déjà évoqué plus haut, mon premier objectif sera de me générer un revenu correct pour vivre. Cet objectif, j’aimerais l’atteindre globalement seul afin de valider un certain niveau d’autonomie. Mais maintenir un service seul sur le long terme ne me paraît absolument pas viable et extrêmement fragile, c’est pourquoi j’envisage le long terme au sein d’une structure avec plusieurs personnes. Il est bien sûr trop tôt pour m’avancer sur quoi que ce soit, en particulier sur la forme que prendrait cette structure. J’ai toutefois une ambition, directement inspirée par la société Basecamp : celle de maintenir le service jusqu’à la fin d’Internet.
Cela ne peut rester qu’une ambition tant que je ne génère pas de revenu et que la stabilité de l’entreprise n’est pas prouvée, mais je trouve que c’est une vision juste et encourageante que ce soit pour moi ou pour mes (futur·es) client·es. Là où beaucoup trop de services sont aujourd’hui éphémères, je trouve qu’il est rassurant de savoir qu’un tel endroit est prévu pour durer. J’espère également que cela me poussera à faire les choses « correctement » et inspirera d’autres personnes à faire de même.
Prochaines étapes
Tout ce que je viens de raconter reste très théorique tant que je n’ai pas commencé à avancer dessus. Je n’ai d’ailleurs pas encore de date à donner quant à la sortie officielle du service. J’ai commencé un plan pour avoir une vue d’ensemble de tout ce que j’ai à faire d’ici là. Si je suis assez confiant sur le fait de pouvoir avancer relativement vite, le service ne devrait pas sortir pour autant avant la fin de l’année. J’ai notamment, avant ça, un voyage à faire en Bretagne ; voyage que je repousse depuis plusieurs années… mais cela risque bien d’être le dernier moment si je veux le réaliser sous la forme que j’envisage.
En parallèle de ce travail de définition de mon service, j’ai également réalisé des documents prévisionnels pour connaître les coûts de mon projet et comprendre mon chiffre d’affaire. Il me reste encore à affiner ces chiffres, en particulier les objectifs en terme de nombre de client·es. La prochaine étape que je vois est celle du choix du statut légal de l’entreprise. J’envisage aujourd’hui deux possibilités : le statut de micro-entreprise ou rejoindre une coopérative d’activité et d’emploi. Je reste néanmoins toujours à l’écoute d’autres solutions.
Quant au nom du service… je le garde pour plus tard 😉