Introspection professionnelle : valeurs et raison d’être

Comme je le disais dans un précédent article, la fin de cette année 2018 est pour moi l’occasion de reposer à plat mes motivations professionnelles. Si j’ai décidé de quitter mon emploi chez Sogilis afin de tracer ma propre route, c’est pour différentes raisons parmi lesquelles :

  • le sens que je ne trouvais pas à mon travail ;
  • des problèmes sociétaux qui me parlent de plus en plus (ex. urgence climatique, fractures sociale et démocratique) ;
  • mon implication dans Framasoft qui m’a fait réaliser la dimension politique qui sous-tend le développement logiciel ;
  • des rencontres multiples qui m’ont aidé à envisager mon travail sous un autre angle ;
  • de nombreuses discussions avec des amis proches qui n’ont fait que renforcer mes choix.

J’envisage aujourd’hui le travail que je peux fournir uniquement à travers un prisme politique (au sens d’engagement). Les logiciels que je conçois ont un impact sur les personnes qui les utilisent, il est important pour moi qu’ils fonctionnent à leur service et non pas contre eux.

C’est ce genre de réflexions que j’aimerais arriver à faire transparaître sur mon site. Le but est de le transformer en « vitrine » professionnelle en mettant en avant mes valeurs, mon mode de fonctionnement, mes compétences, etc. Mais avant d’entamer cette refonte, je souhaite passer par une phase de réflexions plus approfondie.

Le design de soi, ou l’introspection professionnelle

J’ai découvert le concept de « design de soi » il y a un peu plus d’un an grâce à Marie-Cécile Paccard lorsque je l’ai contactée par rapport à Lessy. Le but est d’effectuer un travail de recherche afin de mieux connaître ses aspirations et de mieux communiquer en conséquence. Vous pouvez en apprendre plus dans sa présentation ou via la présentation de Marie Guillaumet qui en a parlé lors de l’évènement Paris Web 2015.

J’étais personnellement un peu dubitatif sur ce que pouvait m’apporter concrètement une telle démarche. Je me suis toutefois prêté au jeu pour Lessy et le fait de voir émerger le contenu aussi naturellement pour la page d’accueil et les éléments destinés à la communauté m’a encouragé à retenter l’expérience sur moi-même (en le documentant, cette fois-ci !)

Sur le sens toutefois, je suis peu à l’aise avec l’expression « design de soi ». D’une part, le mot « design » continue de véhiculer une confusion avec le graphisme ; d’autre part, et de façon plus ennuyante, même en prenant le mot dans son sens de « conception », ce n’est pas tellement l’objet de la démarche. Cela pourrait en effet laisser penser que le « design de soi » vise à créer (concevoir) une nouvelle personne qui ne correspond pas forcément à l’ancienne. Or, je crois que le but est de tirer des traits qui nous correspondent, à la manière d’un caricaturiste qui cherche à représenter une personne à travers quelques caractéristiques qui ressortent. Dans la suite de ma série d’articles, je troquerai donc l’expression par celle d’introspection professionnelle. Dans mon cas, le but est bien d’identifier les traits de ma personnalité sur lesquels je souhaite communiquer dans un cadre professionnel.

Pour cela, je vais procéder en plusieurs étapes qui devraient me permettre de créer le contenu du site :

  1. définition de mes valeurs ;
  2. définition de ma raison d’être ;
  3. définition de mes compétences ;
  4. établissement d’un objectif personnel (c’est-à-dire comment j’honore ma raison d’être) ;
  5. définition de mes moyens de communication ;
  6. conception de l’architecture du site.

Le dernier point me permettra d’organiser les différents éléments qui auront émergé lors des phases précédentes et potentiellement d’en faire émerger de nouveaux.

Les deux premiers points sont traités dans la suite de cet article.

Des valeurs pour guider mes choix

J’ai en vérité entamé la première phase, celle de la définition de mes valeurs, il y a plusieurs mois. Je souhaitais voir comment la perception que j’avais de moi-même évoluait dans le temps, identifier les éléments qui revenaient, comprendre pourquoi je n’étais pas à l’aise avec d’autres, etc. À titre d’exemple, je n’ai pas conservé l’« éthique » dans mes valeurs car ça ne signifiait pas grand chose pour moi : tout le monde possède une éthique sans pour autant placer la même chose derrière. Revendiquer avoir une éthique est nécessairement perçu à travers un prisme différent selon les personnes avec qui j’intéragis.

À l’éthique, j’ai préféré le terme d’intégrité. Affirmer son intégrité permet de garder un cap et de faciliter la définition de ses priorités. Par exemple, j’ai comme conviction que les licences libres ainsi que le respect de la vie privée sont des conditions sine qua non pour qu’un logiciel soit réellement au service de ses utilisateurs et utilisatrices (c’est-à-dire qu’il fasse bien ce qu’on lui demande, sans malveillance). Vous ne me verrez donc pas demain accepter une mission qui ne respecte pas ces conditions parce qu’elle est mieux payée qu’une autre. Cette notion d’intégrité sera par la suite complétée par un manifeste qui détaillera mieux mes engagements.

Le respect dans mes échanges ou envers les utilisatrices et utilisateurs d’un logiciel m’apparaît ensuite nécessaire à toute relation. Rester à l’écoute, savoir exprimer ses sentiments, considérer la personne en face sur un pied d’égalité ; je n’imagine pas d’autre manière de fonctionner pour tirer le meilleur de mes échanges. D’un point de vue technique cela signifie aussi, pour moi, considérer les techniques d’expérience utilisateur et d’accessibilité comme intrinsèques à un projet, pas seulement comme des ajouts selon un budget sur lequel je n’ai pas la main. À l’inverse, d’un point de vue global, cela signifie prendre aussi en compte les externalités de ce que je développe : hors de question de développer un outil qui nuirait encore un peu plus à l’environnement par exemple.

Enfin, la transmission doit faire partie de chaque processus de création. Après avoir lu un peu autour du concept de compostabilité en septembre (via la super présentation de Claire Zuliani à Sud Web), j’ai mieux réalisé la finitude de notre présence au sein d’un groupe. Transmettre mes connaissances et mes compétences m’est alors apparu comme bien plus essentiel pour ne plus être un rouage « indispensable » sans lequel rien ne fonctionne. Mécaniquement, j’ai le sentiment que cela pousse aussi à plus d’humilité. Nous devenons uniques non pas par nos compétences techniques mais par notre vécu.

En me limitant à trois valeurs, je me suis forcé à creuser toujours plus ce qui compte vraiment pour moi. J’ai écarté plusieurs points qui me tenaient à cœur mais que je n’arrivais pas à définir correctement (notamment le principe de remise en question). Ces valeurs sont évidemment fluctuantes : il s’agit d’un travail sur moi-même à un instant T et je m’attends à redéfinir leur contour dans le futur. En revanche, je ne pense pas m’en départir à moins de changer fondamentalement la personne que je suis.

Une raison d’être pour comprendre où je vais

Se trouver une raison d’être n’est pas la chose la plus évidente à faire. C’est pourtant une question qui me taraude depuis un moment car elle questionne sur le sens que l’on souhaite donner à sa vie. Lorsque j’ai pris une année sabbatique en 2015, c’est quelque chose qui m’a travaillé sans que je n’y trouve une réponse qui me convenait.

Ces derniers mois ont toutefois été plus efficaces, au point que j’arrive à la résumer en une courte phrase : concevoir les outils dont la société aura besoin demain. Pour comprendre cette raison d’être, il me paraît important de bien définir ce dont je parle.

Tout d’abord, lorsque je parle de « concevoir [des] outils », je fais le choix conscient de ne pas utiliser le terme de « développer ». Pour moi, un logiciel n’est pas une fin en soi. Il y a avant tout une phase d’acquisition des besoins et de réflexion qui peut notamment mener à la conclusion qu’un outil informatique ne serait pas une bonne solution. Cela implique aussi que je dois étendre mes compétences au delà de la technique informatique, en acquérant notamment plus de compétences liées à l’expérience utilisateur. Je dispose pour cela de précieuses ressources, notamment deux articles de Raphaël Yharrassarry : « Compétences UX et modèle en T » et « Se former en UX Design ? ».

Ensuite, lorsque je parle de « demain », j’y cache derrière la notion de « collapsologie » (ou d’effondrement). Je ne me suis pas encore énormément penché sur le sujet, mais il revient régulièrement dans les discussions qui m’entourent. Je ressens dans mes échanges une notion d’urgence et d’inévitabilité d’une société en mutation profonde. La question n’est pas forcément de savoir « quand ?», encore moins « si ? », mais plutôt « comment ?». À quoi ressembleront nos sociétés dites « modernes » dans un monde où les catastrophes écologiques prédominent, où la faune et la flore fondent comme neige au soleil et où les mouvements migratoires s’accélèrent ? Et si l’on se prenait en main pour imaginer nous-mêmes ce monde de demain et l’accompagner en douceur ? Il existe trois axes que j’ai identifié et dans lesquels j’aimerais m’investir :

  1. accompagner l’inévitable désastre écologique ;
  2. aider les populations en lutte pour affirmer leur légitimité aux yeux du reste de la société ;
  3. repenser nos espaces démocratiques et l’expression du pouvoir.

Vaste programme que celui-là, j’ignore encore quelles formes peuvent prendre mes actions dans chacun de ces domaines mais je ne me fais pas de soucis pour savoir identifier les missions qui entreront en résonance avec ces sujets.

Enfin, le tout fait référence à ce qui se produit dans la sphère technologique depuis des années : les outils qui sont conçus n’émanent pas de réels besoins mais le deviennent une fois bien installés. Apple est notamment championne dans ce domaine, imposant avec brio et comme évidentes des technologies comme le smartphone ou la tablette. On peut toutefois questionner leurs répercussions sur notre société comme une accoutumance à l’instantanéité ou une addiction aux écrans difficiles à jauger. C’est le fameux « temps de cerveau humain disponible » qui est attaqué ici. En vérité, le futur de nos sociétés est aujourd’hui dessiné par des sociétés commerciales qui souhaitent avant tout vendre leurs produits plutôt que de réfléchir au bien commun ; cela me gêne tout particulièrement.

Une conclusion partielle pour préparer une suite plus concrète

Ce premier article était un peu abstrait : je n’ai abordé ici que des sujets qui me serviront de base pour construire le futur contenu du site. Cet article m’est apparu un peu pompeux à plusieurs reprises lors de sa rédaction, mais je crois que le résultat est avant tout un travail honnête sur mes aspirations et me permettra réellement d’affirmer ma manière de travailler avec d’autres personnes.

Je crois ces engagements indispensables dans nos sociétés toujours plus numériques, où nous perdons peu à peu la main sur nos données et leur traitement. Je suis partisan de réinsuffler plus d’échanges humains et une vision positive dans nos vies numériques, et donc nos vies tout court.

Cet article a une saveure particulière pour moi car j’ai réussi à y condenser toutes les réflexions que je mène depuis plusieurs mois ; réflexions notamment alimentées par mes échanges au sein de Framasoft qui est, pour une bonne partie, à l’origine des graines qui commencent à germer sur ce site.

Le prochain article devrait aborder des sujets un peu plus concrets et mener notamment à la rédaction de contenu qui apparaîtra par la suite sur le site.

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